jeudi 20 décembre 2007

Chapitre IV : De la cour des Voir-Jurés.

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CHAPITRE IV.

De la cour des Voir-Jurés.

PARAGRAPHE UNIQUE.

ANCIENNE ADMINISTRATION DU CHARBONNAGE ET DES EAUX.

Avant de terminer cet opuscule, je crois devoir consacrer quelques lignes à la cour des Voir-Jurés dont il a été si fréquemment fait mention.
L'institution de la cour des Voir-Jurés dans la principauté de Liége, est antérieure à l'an 1355 : composée de quatre membres, le nombre fut porté à sept, en l'an 1487.
Les Voirs-Jurés étaient choisis parmis les mineurs de profession les plus judicieux et les plus expérimentés. À cet effet ils devaient subir un examen tant sur l'art d'exploiter, sur le gissement et la disposition des couches, sur les limites des anciens travaux, les lieux où se trouvaient les massifs séparatoires, le cours et le district des arènes que sur la jurisprudence, les usages et Coutumes de houillère.

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Placés, sous la juridiction et l'autorité du tribunal des Échevins de Liége, ils connaissaient en premier ressort, de toutes les causes agitées en matière de mines; ils exerçaient en outre une surveillance active, continuelle et immédiate sur toutes les exploitations, et faisaient exécuter les Coutumes et Règlemens de houillère. Ils dirigeaient les travaux, traçaient aux exploitans les plans, les directions qu'ils devaient suivre, les points dont ils devaient s'éloigner; ils autorisaient les travaux avantageux à la chose publique et interdisaient, sous la sanction des Échevins, ceux qui s'exécutaient au mépris des ordonnances. Enfin les Voir-Jurés exerçaient , sous leur responsabilité personnelle, une surveillance toute spéciale sur les arènes et particulièrement sur les arènes franches.
Les Voir-Jurés ne pouvaient avoir aucun intérêt dans les exploitations. Tous les quinze jours, ils devaient descendre dans les grandes exploitations et tous les semestres dans les petites, afin de reconnaître les ouvrages, d'en dresser l'état de situation et d'avancement dans l'intérêt des ayant droit. Leurs vacations étaient fixées : ils recevaient quinze flo. bb. Liége (8 fl. 40 cens) pour visiter les exploitations établies sur le cours ou à proximité des arènes franches, pareille somme pour les autres, et environ 4 fls. 50 cens, lorsqu'ils procédaient à la requête d'une partie intéressée. Dans ce dernier cas ils étaient défrayés, dans l'autre, les exploitans devaient supporter les frais.

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Au milieu du dernier siècle, la cour des Voir-Jurés avaient déjà beaucoup perdu de sa considération et même de son autorité; indépendamment que les membres qui la composèrent, ne réunirent plus ni les connaissances ni l'expérience de leurs prédécesseurs, c'est que des Échevins, sous l'autorité desquels ils exerçaient, eurent des intérêts dans les exploitations. Dès lors loin d'être protégés dans leurs fonctions, les Voir-Jurés se virent enlever une portion de leur autorité. Les Échevins de Liége (1) se saisirent en instance de toutes les contestations sur lesquelles les Voir-Jurés devaient prononcer en premier ressort; de sorte que dans les derniers temps, les Voir-Jurés n'exerçaient que comme inspecteurs et experts jurés. Néanmoins, quelques réduites que fussent leurs attributions,ils ne continuaient pas moins à exercer une surveillance plus ou moins salutaire qui mettait l'autorité publique constamment à portée de suivre les exploitans dans leurs travaux, de punir les infractions et d'assurer l'exécution des mesures que commandaient les intérêts publics et privés.
Alors que la cour des Voir-Jurés exerçaient son autorité dans toute sa plénitude, ses records, ses interprétations, ses décisions avaient la même force que la loi dont elle était constituée l'unique interprète de l'art. 21 de la Paix de St-Jacques.

(1) Dans son acceptation le mot Échevin désigne un officier municipal. À Liége, le corps des Échevins était une autorité judiciaire, un tribunal jugeant en 1er ressort les causes civiles, et sans appel les causes criminelles.

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Dans le duché de Limbourg, il existait une chambre, dite 'Tonlieux', qui dirigeait aussi les exploitations des mines de houille, et jugeait les contestations qui intervenaient entre les propriétaires, les arèniers et les exploitans. Cette cour avait en outre dans ses attributions la voirie rurale.
La nécessité d'avoir des juridictions spéciales, en matière d'exploitation, était donc reconnue de toute part : car les intérêts des arèniers, des exploitans, des propriétaires fonciers et terrageurs, s'entrechoquaient journellement. Pour prononcer avec connaissance de cause, et surtout impartialité, il fallait, non-seulement avoir fait une étude et une expérience particulière de la matière, mais jouir d'une indépendance absolue.
Les fonctions des Voir-Jurés étaient en partie administratives et en partie judiciaires : elles ne présentent aucune analogie avec les attributions modernes des ingénieurs des mines, et moins encore avec celles du conseil des mines du régime français.
Quant à ce conseil, je partage bien l'opinion émise en 1809, dans une correspondance particulière, opinion que je rends ici textuellement.
"Le conseil des mines qui 'n'a d'autre but que de favoriser les exploitans', avait d'abord proposé au ministre de l'intérieur, de faire évoquer au conseil d'état, toutes les causes entre les arèniers et les exploitans, afin de traiter la question administrativement et de dépouiller 'les tribunaux du pays qu'ils trouvait trop favorables aux arèniers (1).

(1) Cela veut dire sans doute, qu'ils auraient dû condamner les arèniers.

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Le ministre a pensé que ce serait violer les Lois de la propriété, que d'interdire aux 'arèniers la faculté de se défendre' devant les tribunaux naturels, et il a 'rejeté la pétition du conseil des mines'. Celui-ci travaille à préparer une nouvelle législation qui n'est pas encore prête. Il convient de la justice de payer les propriétaires des arènes 'entretenues et utiles', voilà le mot du conseil des mines."
Les Voir-Jurés n'ont jamais connu cette manière de s'identifier avec 'les exploitans, et bien qu'ils fussent tirés du rang de ceux-ci', il faut leur rendre cette justice, jamais ils n'ont fait le sacrifice de leurs devoirs à l'esprit de corps.
La France, les Pays-Bas, le Limbourg, où les mines appartenaient au Souverain, ont recouru aux lumières et à l'expérience de la cour des Voir-Jurés : les tribunaux du pays, dans toutes les questions de faits concernant l'exploitation des mines, prenaient l'avis de cette cour.
Par un Record de l'an 1643, les échevins de Liége déclarèrent que toutes les questions, relatives aux mines et cours des eaux souterraines, étaient du ressort de cette cour.
Alors que, par suite de nouvelles concessions, les exploitans seront contenus dans leurs limites respectives; alors, qu'au moyen de la redevance réglée à raison de l'hectare, les propriétaires des mines seront mis hors cause,

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pour ne pas dire hors d'intérêt, le contentieux des mines deviendra un champ, d'autant plus aride que les exploitans auront peu de motifs de se faire la guerre. Puissent ces considérations les porter à ne point tourner les armes contre les arèniers et les déterminer, franchement et loyalement, à reconnaître la nécesssité des arènes et la justice de payer le cens aux ayant droit.



FIN.